Sacré blanc !
29 juin - 18 novembre, 2012
Au regard de l’oeuvre de Thomas Gleb, évolutif de la couleur au blanc et ancré dans une culture religieuse, il m’était nécessaire de placer cet artiste dans un dialogue avec des plasticiens contemporains afin de montrer que le blanc est un vecteur intemporel lorsqu’il est chargé d’humanité.
C’est grâce à la connivence d’un interprète en tissage de tapisserie comme Pierre Daquin que Thomas Gleb donne à son oeuvre non seulement un épanouissement mais aussi propose au Blanc des formes d’expressions singulières. Le thème développé pour fêter l’artiste s’articule autour de trois sujets : le textiledans toutes expressions, le blanc et le sacré et provoque ainsi une réflexion sur la modernité de mon choix qui est d’associer le sacré avec toute l’importance que l’homme peut y voir. Et ce n’est pas l’influence des titres donnés par l’artiste à ses oeuvres mais bien la vision d’une expression artistique que je découvre également dans beaucoup de cultures traditionnelles dans le monde et plus
particulièrement dans l’art occidental. Le blanc permet de sacraliser toute forme esthétique loin du vulgaire et associé à un acte, qui est celui de l’engagement, révèle aussi bien le beau, le sublime que l’horreur.
[…] Autour des années 70 Thomas Gleb développe le tissage de ses tapisseries blanches, la première connue
est Shabatt (1969) et présente déjà toute la dynamique de ses futurs tissages avec une matière et une
technique assurée qui le place au premier rang des artistes qui produisent des tapisseries sans les tisser.
Et c’est en 1978, époque où j’avais déjà intégré la Manufacture nationale des gobelins, que je croise l’artiste lors d’une rencontre oecuménique, organisée par l’Aumônerie catholique des artistes du théâtre et de la danse à l’Eglise Saint-Roch à Paris et Thomas Gleb, juif polonais, parlait de son expérience dans ses collaborations architecturales pour des chapelles comme par exemple avec l’Ordre des Dominicaines ou bien encore celui des Carmélites. J’ai le souvenir d’un homme habité de rigueur et de liberté en parfaite harmonie avec ses tapisseries devenues reliefs de matière blanche sans aucun artifice de néo modernité comme cela était visible à la même époque pour la tapisserie dite tridimensionnelle. Et ce n’est que beaucoup plus tard, lors d’une visite au Musée Jean Lurçat et de la tapisserie contemporaine d’Angers que j’ai redécouvert dans l’oeuvre de Thomas Gleb l’expression d’un art dans une plénitude aussi bien conceptuelle que spirituelle et physique, celle du corps humain dans une présence immatérielle de l’Homme qui se cherche et nous conduit à une forme d’élévation, Thomas Gleb nous le démontre en laissant derrière lui la couleur pour laisser s’exprimer le blanc.
Thomas Gleb va aboutir à une expression textile d’une grande pertinence. Jusqu’à aujourd’hui dans la tapisserie il est l’un des très rares artistes où ses tissages, en chaîne apparente ou en double contexture, sont d’une justesse incontestable, ce n’est pas qu’un procédé c’est une nécessité, la fonction vitale du plasticien qui unie le sens et la forme.
Sacré blanc ! Hommage à Thomas Gleb n’est pas seulement un hommage à cet artiste né en 1912 mais
une proposition beaucoup plus étendue où les trois composants : le textile, le blanc et le sacré se fondent
pour exprimer plusieurs environnements émotionnels, c’est également l’occasion de s’échapper d’une
lecture conventionnelle et historique puisqu’il s’agit ici de faire se côtoyer des oeuvres qui produisent entre elles des échos similaires et concrétisent, par la grâce du blanc, un espace inter-oeuvres sans frontière artistique. Et comme il ne peut exister qu’un seul blanc et qu’une seule théorie, les principes créatifs vont pouvoir s'exalter.
[…]
La présentation pour le musée de la tapisserie d’Angers propose une itinérance qui prend en compte l‘enveloppe corporelle, l’animalité et la nature, l’homme et le sacré concret et immatériel mais également
une forme de brutalité et de violence camouflées dans le blanc. Ainsi il est donc possible pour le visiteur de découvrir une forme de liberté nourrie de sens et de forme et, d’y trouver un décalage, sa propre
interprétation, qui l’entraine nécessairement vers un autre décalage où la couleur blanche est l’expression subtile mais aussi cruelle de la revendication nécessaire pour chaque artiste depuis que le premier être a décidé de suivre son propre cheminement en faisant fi de l’idéologie pour laisser respirer l’idéalisme au travers de la broderie, la céramique, la dentelle, l’installation, la peinture, la photo, la sculpture, la tapisserie, le tissage et le vêtement. […]
Yves Sabourin
Commissaire du projet
Inspecteur de la création artistique
Direction générale de la création artistique / Ministère de la Culture et de la Communication