Céramique, 23 X 18,5 X 17 cm, 2011. © Jully Jeunet
VW : Qu’est-ce qui t’intéresse dans une exposition consacrée au blanc ?
TS : C’est d’être dans une exposition de groupe. Yves Sabourin a choisi deux pièces pour cette exposition : une sculpture – un crâne – et un dessin, parce qu'il y voit un dialogue entre cette tête et le schéma mental qui sort de ce grand dessin blanc. Je n’y aurais pas songé spontanément et c’est cela qui m'intéresse.
VW : Ta dernière exposition personnelle chez Frédéric Lacroix était pourtant entièrement composée de pièces blanches ?
TS : J’ai eu envie d’intégrer ces sculptures dans cet espace blanc et très lumineux, les céramiques se fondaient en ton sur ton sur les murs. Il y a quelque chose de sourd et muet dans le blanc. Thomas Salet n’aime pas parler de son travail.
Chaque page blanche est une étape d’un voyage commencé il y a longtemps. Le blanc, innommé, n’est pas pour lui la couleur de la pureté ni de la douceur, c’est la couleur de tous les possibles, la couleur des supports traditionnels que sont le papier et la toile.
Dans ses séries de constellations, dont une est exposée ici, Thomas Salet dessine au crayon sur le papier des disques qu’il peint ensuite à la gouache. C’est un dessin en volume – par la vue en perspective des cercles qui se déforment en ovales à partir d’un axe central horizontal et par l’usage de fils qui donnent un relief. Cette série n’a pas commencé avec du blanc, mais avec des disques rouges sur un papier vert d’eau. Ici la gouache est blanc mat, d’un blanc différent du blanc du papier ancien, et le contraste entre les deux s’approfondira avec le temps – puis il relie ces disques avec du fil pour créer une constellation. Tous ces points deviennent les éléments d’un réseau, un maillage de la surface.
Thomas Salet travaille plusieurs séries sur une très longue durée. Il les laisse de côté, les reprend. Quand il les revoit, ou y repense, parfois dix ans après, il voit comment il peut avancer. Le dessin exposé fait partie d’une série qui a commencé il y a longtemps, avec les « porteurs » qu’il fait depuis toujours ; les silhouettes se sont ouvertes, il y a eu des rajouts, puis des fils pour les relier entre eux.
Ce qui stimule aussi Thomas Salet, ce sont des moments passés avec des gens – capter des connexions, des connivences, sans les nommer.
Il y a quinze ans, il a trouvé un crâne dans un cimetière. Au départ ce qui l’attirait dans cet objet était l’intérieur de la boîte crânienne ; il s’agissait pour lui de travailler l’intérieur de la tête, les songes.
Il part d’un bloc de terre qu’il façonne – la terre d’étude a des irrégularités et une teinte qui la rapproche de l’os. Puis il l’évide. Ensuite, les points à l’aiguille créent des pores pour la respiration, sur un crâne qui est en principe opposé à l’idée de respiration puisque c’est un os ; la respiration y introduit la vie. Cette envie de rendre une idée visible – est ce qui donne naissance à l’œuvre.
Il s’intéresse à la solidité donnée à une forme vulnérable – la terre, qu’il cuit de plus en plus chaud, la cire qui devient du bronze.
Je lui dis que je vois dans ses pièces blanches, dont les grands papiers perforés, beaucoup de violence présentée avec une infinie douceur. Il me dit que c’est possible, mais que ce n’est pas ce qu’il y voit, lui.
Véronique Wiesinger
Historienne d’art.
Musée Jean Lurçat et de la tapisserie contemporaine 2012, Angers.
Commissaire Yves Sabourin.